"L'Eden Roc, un palace dans l'Azur"

Ils sont trente et un à posséder ce label de l’exception. Des établissements où le service à la française tutoie l’excellence. De la table au spa, de la chambre à la piscine, ici, le luxe se love dans le détail. Pour commencer notre série d’été, nous vous présentons l’hôtel du Cap-Eden-Roc, plus star que celles qui y descendent. Il fête cette année ses 150 ans.

C’est dès le mois de mai que la haute saison débute au palace du cap d’Antibes. Avec le Festival de Cannes. Quinze jours de folie furieuse. Enfin, surtout dans les années 1990 et au début des années 2000. Les années Weinstein, comme on dit ici avec dégoût pour le souvenir que le producteur de Miramax laissait, bien avant ses déboires judiciaires. « Il se comportait mal mais il amenait tout Hollywood, raconte Philippe Bernard, le barman du bar Bellini. Le soir, c’était une concentration incroyable de stars. Il me fallait dix minutes pour faire 5 mètres, afin de servir Nicole Kidman ou Sharon Stone, assises à une table au fond de la salle. Entre-temps, je devais me frayer un passage entre Matt Damon, Brad Pitt, Julia Roberts, George Clooney ou Quentin Tarantino. Quand on partait ravitailler le bar dans la réserve, on pouvait voir un Harvey Weinstein signer des contrats de plusieurs millions de dollars sur des caisses de soda. C’était intense. En permanence. Tout cela s’est beaucoup calmé. »

Le Riva de l’hôtel fait pourtant toujours d’incessantes navettes pour rejoindre la Croisette, à coups d’aller simple à 500 euros. Et cela reste la période où loger la kyrielle de stars et leur entourage relève du casse-tête. Même si, pendant Cannes, les règles de l’Eden-Roc restent incontournables : on loue pour douze jours. Ou on va ailleurs. Les « bonnes années », deux studios parviennent à s’entendre, et à se partager les réservations. La plupart du temps, il faut jongler avec les changements de dernière minute, quand les célébrités découvrent que leur suite, splendide et si lumineuse, donne sur… la mer. Ce qu’elles avaient pourtant demandé. Oubliant l’« armada » de paparazzis postée juste en face, sur des bateaux. Commence alors la plus délicate mission pour le directeur de l’hôtel, Philippe Perd : satisfaire tout le monde, ne froisser personne, et trouver une solution pour des problèmes en apparence insolubles. « Je me souviens que Brad Pitt et Angelina Jolie avaient souhaité être relogés, constatant qu’avec tous les téléobjectifs braqués sur eux depuis la mer il leur serait impossible de profiter de leur terrasse. » Du coup, beaucoup de stars préfèrent loger en retrait derrière la pinède, dans la grande bâtisse de 86 chambres de l’hôtel du Cap. Comme Marion Cotillard et Guillaume Canet. Quitte à devoir renoncer à la vue époustouflante en bord de mer.

Soixante ans plus tard, princes et actrices se croisent toujours au gala de l’Amfar, imaginé en 1985 par Elizabeth Taylor, et qui se tient à l’Eden-Roc depuis 2009

Si l’ouverture officielle de l’hôtel eut lieu en 1870, il faudra attendre les années 1920 pour voir l’établissement prendre son envol. Picasso, Chaplin, Hemingway, les Windsor, Marlene Dietrich… deviennent des habitués. Pendant la guerre, l’Eden-Roc est transformé en hôpital. La magie pourrait être brisée, mais il n’en est rien. Le Festival de Cannes, créé en 1946, va continuer à ancrer les stars sur la Riviera. Non loin de l’Eden-Roc. Dont ils font leur résidence privilégiée pendant cette période, à l’écart du tohu-bohu cannois. Et puis, il y a le destin. Comme cet après-midi de 1949 où l’Aga Khan s’ennuie. Il veut précipiter son départ. Affolement général. C’est un des hommes les plus riches du monde. Laisser partir avant l’heure un tel client est un crève-cœur pour André Sella, le directeur de l’établissement de l’époque. Alors, il lui vient une idée. Sublime. Comme celle qui déjeune seule près de la piscine. Et que l’Aga Khan n’a pas vue. Elle s’appelle Rita Hayworth. « Plutôt que prendre la route par cette chaleur, même dans une Rolls, pourquoi ne pas dîner avec elle, ce soir ? » lui suggère le directeur de l’Eden-Roc. On connaît la suite de l’histoire.

Soixante ans plus tard, princes et actrices se croisent toujours au gala de l’Amfar (American Foundation for Aids Research), imaginé en 1985 par Elizabeth Taylor, et qui se tient à l’Eden-Roc depuis 2009. Si certaines stars manquent à l’appel pour le Festival de Cannes, elles ne ratent pas le dîner le plus people de la planète. S’ensuit un énième problème pour Philippe Perd : accommoder ces célébrités « de dernière minute » qui souhaitent assister au gala, mais aussi séjourner à l’Eden-Roc, archi complet depuis des mois ! Et quand Mick Jagger fait une telle demande, quel choix a-t-on ? « On trouve une solution, assure, flegmatique, Philippe Perd, sinon, ils vont ailleurs. Et ça, bien sûr, on ne le souhaite pas… » C’est un des secrets des palaces : un problème ne le reste jamais très longtemps.

Philippe Perd directeur de l’hôtel depuis 2005

L’atmosphère d’un hôtel, c’est une combinaison entre ses clients et le personnel. Michel Babin de Lignac, notre voiturier, est ici depuis quarante-deux ans. Arnaud Poëtte, le chef cuisinier, depuis trente-sept ans. Le chef concierge, depuis trente-quatre ans. Philippe Bernard, notre barman, depuis vingt-cinq ans. Et, par ailleurs, nous avons des clients qui séjournent chez nous depuis cinquante-deux ans. D’autres qui réservent huit semaines, parfois 2 ou 3 chambres, depuis quarante ans. En été, nous avons un taux de fidélité qui s’élève à 70-80 %. Il y a un côté “comme à la maison” à l’Eden-Roc. Un esprit que j’ai tenu à préserver lors de ma prise de fonction en 2005. Même s’il a fallu procéder à certains aménagements : l’établissement ne prenait pas les cartes de crédit, il n’y avait ni télévision, ni WiFi, ni minibar dans les chambres. Et pas d’accès gratuit à la piscine pour les clients. Nous avons la chance de fermer six mois (à partir d’octobre) et de pouvoir procéder chaque année à 7millions de travaux afin de toujours innover. Au fil des ans, nous avons créé le grill, la Villa Eleana, le champagne lounge, le juice bar… Car c’est fondamental de se remettre en question.

Gilles Bertolino chef concierge depuis trente-quatre ans

Particulièrement pour un établissement “historique”. La période du Festival de Cannes est celle que nous préférons. Car le personnel est tellement rodé qu’il excelle dans la performance. L’hôtel devient une grande scène et nous faisons partie de cette superproduction. Parfois, bien sûr, il faut résoudre des équations impossibles. Mais l’occupant “star” n’est pas le plus compliqué. C’est le studio. Cela fait cliché mais c’est pourtant vrai : les plus grands sont les plus simples et les plus sympas : De Niro (que tout le monde adore ici !), Matt Damon, Dustin Hoffman, Sharon Stone ou Mick Jagger, présents chaque année au dîner “Vanity Fair”. Notre hôtel est le théâtre de privatisations parfois époustouflantes. En 2014, un record, c’est arrivé six fois. Nous demandons un minimum de 2 nuits [x 118 chambres, soit entre 250 000 et 300 000 €, NDLR] et 500 € par personne de frais de bouche [x 250 soit 125 000 €, NDLR]. Mais cette somme est finalement “très peu” par rapport aux frais globaux de l’événement. Entre les avions privés, la décoration, les locations de voiture… il y a eu des mariages hallucinants et je n’ai jamais vu de ma vie autant de Cheval Blanc et de Dom Pérignon en une soirée. Sur un même mariage, vous pouviez avoir Lionel Richie, Chris Martin et Charles Aznavour en spectacle. Et le cachet cumulé de ces stars dépasse largement le prix de mes chambres... »

Les règles d’or de la « palace attitude » de l’Eden-Roc
Pour les 150 ans de l’hôtel, le directeur a fait un brainstorming afin de réaliser un guide à l’usage du personnel. Soixante « commandements » pour tutoyer l’excellence. En voici quelques-uns.
Se faire confiance, pour provoquer la confiance et marquer son expertise.
Utiliser le sourire sans en faire une grimace de circonstance.
Ne pas privilégier, devant eux, un client par rapport à un autre.
Annoncer les délais d’attente et les tenir.
Prendre le temps pour communiquer avec les clients, tout en gérant le temps.
La fiabilité et la parole donnée sont des valeurs fortes et non discutables.
Le luxe, c’est le détail. Tout est important.
Le client doit être regardé sans être fixé. Le pire étant de ne pas le voir.
Le luxe, c’est l’humilité de ceux qui le génèrent.
S’enquérir de la satisfaction, sans être pesant.
Quand on n’apporte pas une solution, on fait partie du problème.
Savoir reconnaître ses torts et s’excuser avec dignité.
Considérer que le service, à ce niveau-là, est un art comparable à la musique ou au théâtre. En cela, il génère une expérience émotionnelle.
Le premier service que l’on consacre au client, c’est lui donner de son temps

 

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